Voici une légende de notre département sarthois tirée du livre La Sarthe en légendes de Nadia Gypteau paru aux Editions du Petit Pavé.
Nos existences sont en réalité, par l’hérédité, aussi pleines de chiffres cabalistiques, de sorts jetés, que s’il y avait vraiment des sorcières. Marcel Proust
Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?
Lamartine
Il y a plus à lire dans une forêt que dans un livre.
Saint Bernard de Clairvaux
Légende de la fée de la forêt
Ce soir de Noël, Marcellin était parti à la rencontre de ses parents et de ses sœurs qui assistaient à la messe de minuit à l’église de Jupilles. Ses pas le conduisirent vers une petite clairière de cette grande forêt de chênes et de hêtres qu’on appelle forêt de Bercé. Le froid était vif, il n’y avait rien à manger et encore moins à partager. Il se sentait seul tout au fond de lui. Quand finirait donc cette triste misère ? Des larmes lui montèrent aux yeux et il ne put s’empêcher de sangloter.
Or, en cette nuit de Noël, où des miracles peuvent parfois se produire, il se trouve qu’une fée était assise, insouciante, à califourchon sur le croissant de lune.
- qui a autant de chagrin pour que ses pleurs viennent jusqu’à moi ? se demanda-t-elle.
Et curieuse, elle s’élança, ne laissant qu’une traînée blanche derrière elle.
Marcellin vit se découper dans l’ombre de la lune une bien belle dame brune, vêtue d’une longue robe blanche.
-êtes-vous une fée ou un rêve ? demanda-t-il apeuré.
-les rêves sont dans l’esprit des gens et moi je suis bien là ! répondit-elle légèrement. Pourquoi pleures-tu ?
-Ma famille est trop pauvre. Mes parents se louent dans les fermes alentour pour un travail pénible et mal payé. Nous habitons une pauvre hutte, faite de branchages.
-Ne peux-tu rien faire de tes deux mains pour les aider ?
-Si, bien sûr, mes mains, elles, peuvent travailler, mais que faire ici, dans cette grande forêt, avec seulement deux mains ?
-N’as-tu jamais pensé que la richesse pouvait se trouver tout autour de toi, sans que tu t’en doutes ?
-La richesse ! Il n’y a pas de richesse ici. Mes parents n’ont pas d’argent.
-Tu comprendras un jour ce que je veux te dire. Et puisque ce soir n’est pas un soir comme les autres, je vais te donner droit à un souhait.
-un souhait ? Je souhaite passer de joyeuses fêtes de Noël dans un an, avec mes parents et mes sœurs !
-C’est entendu, dit la fée.
Puis elle s’évapora doucement dans les airs, telle la brume qui se dissipe et monte vers le ciel.
-comment ce souhait pourrait-il se réaliser avec toute cette misère ? s’interrogea Marcellin.
-regarde autour de toi ! entendit-il encore dans le lointain.
-je ne vois que du bois…
Guidé par une force invisible, il se pencha et ramassa un beau rondin de hêtre qui se trouvait à ses pieds. Il prit son couteau et commença à tailler le bois. Au bout de plusieurs heures, il était toujours là, façonnant quelque chose, il ne savait pas quoi. Ses mains agiles travaillaient presque malgré lui. Il ne sentait plus le froid et n’avait plus d’inquiétude pour ses parents. Il fallait seulement qu’il continue ce travail, et la grosse branche ainsi travaillée prenait peu à peu une forme étrange….
D’après toi, quel objet Marcellin fabrique-t-il ? Peux-tu le dessiner ?
La forme qu’il lui avait donnée ressemblait étrangement à la forme de ses pieds. Le morceau de bois était allongé et creusé à l’intérieur. Il fit quelques pas, chaussé de ces curieux pieds en bois, qui lui allaient si bien ! Il avait inventé les sabots !!
Le garçon regagna la chaumière et toute la maisonnée fut heureuse de le retrouver.
Les fillettes tapaient dans leurs mains en dansant et en chantant :
-On n’aura plus froid à nos pieds maintenant !
-Nous pourrions peut-être en fabriquer d’autres et les vendre ! suggéra le père.
Dès le lendemain, sans plus attendre, chacun se mit au travail. Avec l’argent gagné, la famille put s’acheter du pain, de la viande et du beurre frais..
Noël approcha, Noël arriva. Marcellin état heureux.
-Cette année, nous n’aurons ni faim ni froid. Mon vœu s’est réalisé !
De la fenêtre, il aperçut la fée aux cheveux d’ébène qui, éclaboussée par les rayons de lune, lui fit un signe de la main. Elle portait des sabots finement ciselés et décorés.
Un instant, il détourna les yeux et la fée disparut. Mais il l’entendrait longtemps lui dire ces mots :
-la richesse peut se trouver tout autour de toi, sans que tu ne t’en doutes….
Dans les villages situés à proximité de la forêt de Bercé, plus de la moitié de la population travaillait comme sabotiers. Il fallait compter trois heures à un ouvrier pour fabrique une paire de sabots. A Jupilles, on utilisait le hêtre, résistant et facile à travailler. Les femmes sculptaient sur les sabots des feuillages, des rosaces ou des fleurs. C’est leur compétence qui permit à Jupilles d’être reconnu pour la diversité et l’originalité de ses modèles.